Rapport moral de l'AG du 20 janvier 2022
présenté par Francis Combes
LES DEUX ANNÉES ÉCOULÉES
Nous sommes (espérons-le) en train de sortir de cette période dominée par la crise et les restrictions sanitaires. Ce fut une période difficile pour beaucoup d’entre nous, à titre individuel, mais aussi pour nos maisons d’édition. (Les mesures de soutien prises par le gouvernement, dans le domaine du livre, ont peu concerné nos maisons d’édition). D’après les statistiques de la profession, environ 300 (petits) éditeurs ont suspendu leur activité pendant cette période. Sur les 3 000 éditeurs que compte le pays, c’est donc 10 % !Notre association n’a pas échappé à ces difficultés, ne serait-ce que parce que nous avons été contraints d’annuler trois salons consécutifs (avec les conséquences que cela entraîne en termes d’adhésions, de subventions, d’activité). Et nous avons dû prendre des mesures drastiques d’économie pour nous adapter.Néanmoins, nous avons maintenu notre présence. Nous avons notamment produit un Plan d’urgence pour la filière livre que nous avons commencé à diffuser auprès de nos interlocuteurs et de nos partenaires.Nous avons défendu nos propositions (concernant aussi bien les tarifs postaux que la réforme du CNL) et avons pu nous faire entendre (si ce n’est être entendus) par les représentants des pouvoirs publics.Nous avons aussi, pour la première fois véritablement, marqué un point dans nos efforts pour avancer dans la voie de la coopération avec les autres associations d’éditeurs indépendants, notamment avec la Fédération des éditeurs indépendants qui réunit des associations en région et avec qui nous avons produit un communiqué commun.Enfin, nous avons pu renouer, en novembre dernier avec la tenue de notre Salon d’automne aux Blancs Manteaux. Sans doute n’a-t-on pas retrouvé lors de cette édition le niveau de salons antérieurs. Mais il faut tenir compte des circonstances (notamment de la jauge qui nous était imposée). Avec 128 éditeurs inscrits (plus une trentaine sur le stand collectif) et 4 500 visiteurs environ, nous pouvons dire que ce fut un « salon de reprise ». Et nous avons été heureux de pouvoir nous y retrouver.
LA SITUATION DANS L’ÉDITION
Le fait majeur en ce début d’année, c’est le pas important franchi en matière de concentration avec l’annonce du rachat par Bolloré du groupe Hachette.La fusion Editis-Hachette va constituer un méga- groupe en situation de quasi-monopole puisqu’il totalisera plus de 41 % du chiffre d’affaires de toute la profession.Hachette, c’est déjà le 6ème éditeur au plan mondial. 65 % de son chiffre est fait à l’étranger. Il contrôle déjà 150 maisons d’édition. En France : Fayard, Grasset, Lattès, Stock, Calmann-Lévy, Larousse... Et on sait les liens entre Lagardère et l’industrie, des médias comme de l’armement, avec Matra.Quant à Editis, filiale de Vivendi, ce groupe contrôlait déjà Plon, Belfond, Pocket, 10/18, Les Presses de la Cité, Juliard, Robert Laffont, Le Robert...Notons que les dix premiers groupes, avec notamment Madrigal (Gallimard-Flammarion-Casterman) représentent aujourd’hui 89 % du chiffre global de la profession, contre 77 % il y a dix ans. Cette concentration est une concentration dans l’édition, mais aussi dans la distribution. Déjà Lagardère avait racheté Volumen à La Martinière-Le Seuil en 2015. Aujourd’hui, avec la distribution Hachette, c’est le gros de la distribution qui est sous le contrôle de ce groupe.A cette menace de fait contre la biblio-diversité s’ajoutent des inquiétudesqui tiennent à la personnalité du milliardaire qui vient de faire main-basse sur l’édition : Vincent Bolloré. (Pour se rendre compte des rapports de forces : sachez que sa fortune personnelle, la 14ème plus grosse de France, est estimée à 8 milliards d’euros... et que le chiffre d’affaire global de toute l’édition est de 3, 94 milliards...) Après avoir fait de bonnes affaires en Afrique (dans la logistique, l’exploitation de l’huile de palme au Libéria ou le rachat des terminaux portuaires, – ce qui lui a valu des procès pour corruption) ainsi que dans la finance, il a pris le contrôle de Vivendi.Il s’est notamment implanté dans les médias (Canal plus, C News, Direct 8).Lui-même est connu pour être un catholique intégriste (qui se confesse paraît-il deux fois par semaine). Il ne fait pas mystère de ses opinions qui le situent très à droite ; ce qui ne l’a pas empêché de soutenir Anne Hidalgo à la Mairie de Paris, après avoir raflé le marché des autolibs et avoir pu placer ainsi les piles au lithium qu’il produit... Puis s’être dégagé après avoir fait payer la ville.On sait le rôle qu’il joue aujourd’hui dans le soutien à la candidature de Zemmour qu’il a contribué à lancer, et dont il semble partager les options concernant « la reconquête nationale ».C’est avant tout un homme d’affaires, mais un homme d’affaires qui, s’il ne se lance pas personnellement en politique (à la différence de Berlusconi) n’hésite pas à y jouer un rôle. On se souvient de la façon dont il s’en était pris aux Guignols, à Canal +, ou comment il avait déprogrammé une émission d’investigation sur l’évasion fiscale. Il avait déclaré devant la rédaction que ce n’était pas un acte de censure, mais que s’en prendre à la BNP et au Crédit mutuel, c’était « de la connerie »...Et en ce début d’année, on peut voir comment la machine éditoriale et médiatique qu’il contrôle a orchestré une campagne en faveur du livre de son frère : Michel-Yves Bolloré, Dieu, la science, les preuves qui est paraît-il en tête des ventes. (La Croix a écrit en substance de ce livre que ce n’était un service rendu ni à la science ni à Dieu...) Cet interventionisme nourrit des inquiétudes parmi les salariés des groupes d’édition concernés.Parmi les auteurs aussi. Le CPE (le Comité permanent des écrivains) vient de faire paraître une déclaration.Nous devrions le faire aussi.Dans ce contexte, nous devons dire haut et fort et montrer que les éditeurs indépendants plus que jamais, sont des garants de la biblio-diversité et de la liberté d’expression. Ils le sont parce que sans eux bien des auteurs, qui ne sont pas à la mode ou dans le courant dominant, ne trouveraient pas d’éditeur.Mais aussi parce que leur indépendance peut les autoriser à s’attaquer (même si ce n’est pas sans risques) à des sujets de plus en plus tabou dans un pays où l’information et l’édition seront sous contrôle.
NOS PROPOSITIONS D’ACTION POUR LA PÉRIODE QUI VIENT
1 – nous allons tenir notre salon de printemps, au Palais de la femme, les 22, 23, 24 Avril prochains. Ce Salon se tiendra en même temps que le Festival du livre de Paris, qui est la nouvelle formule du salon du livre de Paris.Cette nouvelle formule réalise le fantasme ancien de plusieurs des majors de l’édition : se retrouver entre eux au Petit Palais, comme autrefois. Sans les éditeurs régionaux et les éditeurs indépendants. Comme le Petit Palais est en travaux, ils s’installeront au Petit Palais éphémère du Champ- de-Mars et vont écarter beaucoup d’éditeurs.Dans ces circonstances notre salon peut-être un véritable salon alternatif des éditeurs indépendants. Et nous allons nous employer à le faire savoir.
2 – Nous allons poursuivre l’action que nous menons sur nos revendications. La question des tarifs postaux est une question qui a fait son chemin dans les esprits ; et pouvoirs publics comme élus doivent se positionner à ce sujet.Cette semaine encore, la question est venue au Sénat et la Ministre de la Culture a encore essayé de s’en tirer en disant que le sujet était en cours de réflexion.Au cours du dernier trimestre 2021, les députés ont discuté d’un projet de loi sur l’économie du livre.L’intention de départ était sans doute louable : s’attaquer à l’inégalité flagrante dont bénéficient les plate- formes de vente en ligne comme Amazon, dont la concurrence pendant le confinement a paru particulièrement choquante à beaucoup de libraires en particulier.Mais la solution trouvée va aggraver la situation : puisque les parlementaires n’ont rien trouvé de mieux que d’interdire le franco de port (qu’utilisent beaucoup d’éditeurs indépendants) et de prétendre imposer un tarif postal plancher. (Pour l’instant, il n’y a pas de décrets d’application). La seule vraie solution est celle que nous préconisons : généraliser à la France et aux DOM-TOM le tarif « livres et brochures » de la Poste qui pour l’instant ne fonctionne que pour les envois à l’étranger. Et faire en sorte que ce tarif ne concerne pas tel ou tel acteur de la filière Livre mais l’objet livre lui-même, en tant que produit culturel dont on voudrait favoriser la diffusion.(La mesure ponctuelle de baisse du coût des envois pour les libraires, à la fin du deuxième confinement, montre que c’est possible).
3 – Renforcer la vie de notre association
Nous sommes aujourd’hui près de 200 éditeurs adhérents de l’Autre livre. La campagne de réadhésion a commencé. L’existence de l’Espace L’Autre livre, ici, rue de l’Ecole polytechnique, est évidemment une charge importante pour notre association (1 200 euros de loyer mensuel). Mais c’est aussi une chance.Pour ceux d’entre nous qui y ont recours pour leur distribution (et le travail avec les coursiers) ; pour ceux qui y organisent des rencontres régulières, mais aussi pour tous ceux qui pourraient y organiser des rencontres ponctuelles.Vous savez que nous avons dû nous séparer de notre ancien chargé de mission pour des raisons économiques évidentes. Au cours de l’année passée nous avons travaillé avec des stagiaires, en particulier avec Ada Souchu qui a bien contribué à faire vivre notre espace et à assurer le succès du salon. Nous proposons de poursuivre cette collaboration sous forme d’un emploi à mi- temps. L’Espace l’Autre livre ne fonctionne pas vraiment comme une librairie. (Il y a très peu de chalandise dans la rue). Mais il vit quand nous y organisons des événements.Nous proposons donc de l’ouvrir à mi-temps, les après midi. Et de faciliter la multiplication des soirées (en modifiant un peu la formule d’abonnement).Nous aurions ainsi l’abonnement normal à 400 € (qui permet d’organiser 5 soirées dans l’année). Et d’avoir accès au comptoir de vente pour 50 euros supplémentaires.L’abonnement premium à 800 euros, qui donne droit en plus à des week-ends.Et nous proposons de faire que le montant de la réservation ponctuelle pour une soirée soit de 100 euros (contre 150 jusqu’alors).Enfin, concernant la vie de notre association. Nous devons aujourd’hui renouveler notre conseil d’administration, puis notre bureau. Nos statuts prévoient que le CA compte 10 membres. Or nous avons 15 candidats.Sur suggestion d’un participant à l’Assemblée, nous décidons que les 10 amis qui auront recueilli le plus de voix seront membres titulaires du conseil. Les autres seraient en quelque sorte membres suppléants. (Nous poserons la question lors d’une prochaine AG extraordinaire de la mise à jour de nos statuts).L’important me paraît être d’élargir le collectif qui anime effectivement la vie de l’association.Aujourd’hui ce collectif qui tient essentiellement au bureau, est trop restreint et tend à tourner toujours sur les mêmes. Lors du prochain CA, nous préciserons la composition du bureau, la répartition des tâches et proposerons de créer des petits collectifs en délégant des responsabilités sur divers sujets : la communication, (et les réseaux sociaux, Facebook, Twitter etc.) ; l’économie du livre, les relations avec nos partenaires (les autres associations d’éditeurs, les libraires etc.)Merci de votre participation nombreuse à cette AG de l’Autre livre.