Presse
Roselyne Bachelot à la Culture : le monde du livre réagit
PAR NICOLAS TURCEV, LE 07.07.2020
Mesures de relance de la filière, réforme du statut des artistes-auteurs, concentration éditoriale… Les acteurs du livre confient à Livres Hebdo ce qu'ils attendent du gouvernement au lendemain de la nomination de Roselyne Bachelot au ministère de la Culture. Les noms changent, la crise demeure. Passé l’effet de surprise, la nomination de Roselyne Bachelot, chiraquienne et ancienne lieutenant de Nicolas Sarkozy, à la tête du ministère de la Culture en remplacement de Franck Riester, la poussière retombe et révèle un secteur en péril, déprimé par l’arrêt quasi-total pendant près de trois mois des activités culturelles.
"Je sais que le temps m’est compté", a souligné la membre du gouvernement lors de la passation de pouvoir avec Franck Riester, en clin d'oeil à la longévité de plus en plus réduite des locataires de la rue de Valois. Mais c'est aussi une manière de reconnaitre qu’à moins de deux ans des élections présidentielles, redresser le monde de la culture, "terrassé" par la crise sanitaire, demandera un formidable effort et une véritable volonté politique.
"L’urgence absolue en ce début d’été sera d’aider à la remise en route et en état des lieux de culture : festivals, musées, cinémas, monuments historiques", a plaidé Roselyne Bachelot, qui a aussi eu quelques mots pour le livre et sa "filière": éditeurs, écrivains, libraires et salons. La responsable s’est par ailleurs dite favorable à un "approfondissement" du plan bibliothèques pour faire des établissements communaux des "lieux de rencontres plurielles" où les jeunes pourront faire la connaissance d’écrivains faits "de chair et de sang".
En bibliothèque, "ouvrir bien"
Alice Bernard, présidente de l'Association des bibliothécaires de France (ABF) estime toutefois que la ministre "a surtout exprimé son attention au soutien du spectacle vivant, important bien évidemment pour la vie culturelle de nos territoires". Mais, rajoute la responsable, "le monde de la culture est bien plus vaste que cela, et nous souhaiterions également l’entendre sur d’autres sujets."
L'ABF "attend un soutien fort" de la ministre au développement des bibliothèques. "Les bibliothèques peuvent faire encore plus pour développer leurs offres et services afin de resserrer les liens entre les individus et surtout faire en sorte de leur donner accès à l’information et à la culture. Cela ne peut se faire sans une politique culturelle incitative qui prenne en compte la réalité des territoires et de leurs besoins", estime Alice Bernard, qui appelle à "ouvrir bien" plutôt qu'à simplement "ouvrir plus".
Le dossier chaud du régime des auteurs
Après s’être inquiétée des nombreux emplois de la culture, directs et indirects, menacés par les répercussions du confinement, l’ancienne animatrice télé a assuré qu’elle "ser[a] la ministre des artistes". La formule n’est pas anodine, six mois après la publication du rapport Racine sur la réforme du statut des artistes-auteurs, applaudi par les associations d’auteurs, mais timidement repris par Franck Riester.
"Pour être la ministre des artistes, la première chose à faire, c’est d’appliquer le rapport Racine", estime d’ailleurs Samantha Bailly, présidente de la Ligue des auteurs professionnels. A propos de la nouvelle locataire de la rue de Valois, la responsable rajoute qu’"étant donné le rôle qu’elle a joué en tant que ministre des Solidarités et de la Santé [sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ndlr], il sera intéressant de connaître sa perspective sur le régime social des artistes-auteurs, qui n’a pas cessé de dysfonctionner, y compris durant le confinement".
Paola Appelius, nouvelle présidente de l’Association des traducteurs littéraires français (ATLF), abonde : "Le confinement a révélé la complexité de l’accès aux droits sociaux pour les auteurs, c’est un sujet qu’il faudra aborder", estime-t-elle. La représentante ne cache pas sa déception à l’idée de devoir recommencer le travail de concertation de ces dernières semaines avec une nouvelle équipe ministérielle. Les négociations entre les associations d'auteurs et leur ministère s'étaient accélérées après la nomination, en mai, d’un conseiller chargé du plan artistes-auteurs. Les débats portaient, notamment, sur la représentation de la profession au sein d'un futur conseil des artistes-auteurs, l'une des seules préconisations du rapport Racine retenues par Franck Riester.
L'ATLF ne demande pas, pour sa part, une application stricto sensu du rapport, que Paola Appelius considère comme un "diagnostic" plutôt qu'un mode d'emploi à l'attention du gouvernement. Mais la responsable note que le document a mis en lumière "la précarité grandissante" des auteurs. La responsable compte ainsi sur les pouvoirs publics pour "corriger le déséquilibre entre auteurs et éditeurs dans la négociation [du contrat]". La présidente de l'ATLF évoque la mise en place d’un système inspiré du contrat de commande qui assurerait un minimum garanti de revenus à l’auteur.
La Société des gens de lettres, satisfaite des négociations avec le précédent gouvernement sur le plan de relance de la filière livre, salue, pour sa part, la nomination de Roselyne Bachelot, une femme "sensible à l’art et à la culture qui dispose d’une grande connaissance du fonctionnement de l’Etat".
Des réformes structurelles
Du côté de la distribution, Guillaume Husson, directeur général du Syndicat de la librairie française, juge la première intervention de la ministre Bachelot "encourageante". "Elle a dit ce qu’il fallait sur le soutien à la filière, qui est évidemment notre priorité dans les mois à venir, c’est-à-dire aider les éditeurs et les libraires indépendants pour qui la crise continue, constate le reponsable. Comme elle l’a elle-même remarqué, le temps est compté et il va falloir aller vite pour prendre en main ces dossiers".
"Nous, nous attendons du ministère qu’il donne suite à nos démarches sur un plan d’urgence pour la filière livre puisque les premières réponses sont insuffisantes", juge en revanche Francis Combes, président de l’association L’autre livre qui représente 185 éditeurs indépendants. "Plus que de l’argent, nous demandons des réformes structurelles qui permettent de contrebalancer la concentration dans l’édition, surtout en cette période de crise, puisque c’est le moment où les gros mangent les plus petits".
Le représentant a transmis, le 7 juillet, ses doléances à la nouvelle ministre Bachelot. Parmi ses propositions : un tarif postal du livre, quasi-unanimement demandé par la profession, un renforcement des aides publiques au livre ou encore une réforme du secteur de la diffusion-distribution, "là où le bât blesse", selon Francis Combes. Les acteurs du livre l’ont bien compris : si le temps est compté, il n’y a pas une minute à perdre.
Francis Combes : "Nous demandons que le livre bénéficie d’un tarif préférentiel"
Par Nicolas Dutent
Publié le 14/05/2020
Francis Combes, poète, président de l'association l'Autre Livre et éditeur qui a fait grandir la maison d'édition française Le Temps des Cerises, revient pour Marianne sur une bataille majeure mais encore trop méconnue dans le secteur du livre : la revendication collective, par les éditeurs indépendants, d'une tarification postale plus juste.
Marianne : Vous venez d'être réélu président de l'association l'Autre Livre qui regroupe quelques 200 éditeurs indépendants. Comment pouvez-vous et prévoyez-vous d'aider ou d'accompagner l'édition indépendante dans cette période contraignante ?
Francis Combes : On peut craindre que la situation actuelle pousse des éditeurs, à mettre la clef sous la porte. C’est une loi du capitalisme malheureusement toujours vérifiée que les crises sont l’occasion d’aggraver la concentration. L’édition française est déjà très concentrée puisque deux groupes multinationaux (liés à la grande industrie et à la finance) contrôlent plus de 50% du chiffre d’affaires de la profession. Mais l’une des particularités de notre pays c’est, qu’en amont d’un fort réseau de libraires (plus important que dans la plupart des pays d’Europe), existe encore un vrai vivier d’éditeurs. 2.000 éditeurs dont la majorité sont des indépendants, petits et moyens. L’édition indépendante (qui n’est quasiment jamais considérée en tant que telle dans les politiques publiques) joue un rôle important et précieux. La plupart de ceux qui se lancent dans l’aventure de créer une maison le font parce qu’ils sont passionnés ; ils le font donc avec passion, malgré tous les obstacles, et souvent avec beaucoup de talent.
Dans certains domaines de la création, leur rôle est essentiel. C’est évident en poésie, mais c’est vrai aussi pour d’autres genres littéraires, réputés peu commerciaux, dans le domaine des traductions, dans l’édition régionale, en histoire sociale, en philosophie, par exemple… Notre association, qui existe depuis maintenant dix-huit ans, s’est fixée dès l’origine l’objectif non seulement de défendre les éditeurs indépendants, mais aussi la place du livre dans la société et le pluralisme culturel. Quand le président de la République a annoncé son plan pour la culture, à côté de mesures évidemment nécessaires comme celles qui concernent les intermittents, nous avons noté l’absence voyante du livre. Alors que le même président, au tout début du confinement, avait invité les Français à en profiter pour lire ! Nous attendons donc, avec un peu d’impatience, le plan pour la filière livre dont on nous a dit qu’il était en préparation.
L'une des batailles méconnues dans le secteur du livre dont les enjeux sont pourtant majeurs, portée activement par les éditeurs des Hauts de France et fédérant un peu partout sur le territoire, concerne la tarification postale. Pouvez-vous nous expliquer la nature et les raisons de ce combat ? En quoi la réduction du coût d'expédition pour les éditeurs est-elle une mesure juste et justifiée ?
C’est une revendication que nous défendons depuis longtemps. Elle était déjà au centre des États généraux des éditeurs indépendants que nous avions organisés il y a douze ans. Nous avions d’ailleurs initiée une pétition qui avait réuni quelques 4.000 signatures. Aujourd’hui le mouvement reprend de plus belle et de nombreuses associations régionales en effet la portent. Nous en sommes évidemment partie prenante.
Nous demandons simplement que le livre bénéficie d’un tarif préférentiel, à l’instar de ce qui avait été décidé pour soutenir la presse après la Libération. Imaginez qu’aujourd’hui, quand un éditeur envoie, à un libraire ou à qui que ce soit, un livre dont le prix public est par exemple de 20 euros, si celui-ci à un dos de plus de 3 cm, il devra payer plus de six euros ! En comptant les 2 euros de droits d’auteur, les 6 ou 8 euros pour le libraire, les 3 à 5 euros pour l’imprimeur… vous voyez ce qui reste !
Alors que dans le même temps les grandes plateformes de vente directe bénéficient de frais de port de quelques centimes ! En avançant cette idée, nous ne défendons pas un intérêt « de boutique ». Tous les acteurs de la chaîne du livre, de l’auteur au lecteur, en passant par le libraire ont à y gagner. Et qu’on ne me dise pas que ce serait d’un coût terrible pour la Poste. Elle pourrait au contraire bénéficier d’une plus grande circulation des livres. D’ailleurs, dans d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Grèce, envoyer un livre par la Poste coûte beaucoup moins cher, souvent aux alentours de 2 euros !
Vous avez récemment plaidé cette cause auprès du gouvernement et du ministère de la culture. Votre revendication collective a-t-elle été entendue ? Qui sont vos amis et vos ennemis ici ? Quels sont les obstacles et les opportunités rencontrés au cours de cette mobilisation ?
Nous avons eu des contacts avec des membres des équipes ministérielles qui nous ont dit que le sujet était à l’étude et que la proposition paraissait sérieuse…
Chez les éditeurs le consensus est en train de se faire, comme le confirme la prise de position d’Antoine Gallimard.
Reste à savoir si les lobbies et les financiers n’auront pas le dernier mot. En tout cas, nous ne comptons pas en rester là. Par-delà cette revendication, nous pensons qu’il faut remettre le livre au cœur de la politique culturelle. Ce qui est en jeu, c’est la maîtrise partagée de la langue, les conditions d’exercice de la pensée critique, du pluralisme et de la liberté, mais aussi de la capacité à imaginer vraiment le « monde d’après », selon la formule en vogue aujourd’hui.
Retrouvez l'entretien complet sur Marianne.net
Emmanuel Macron et le monde de la Culture : où était le livre ?
Edition - Economie - Emmanuel Macron culture - intermittents Macron discours - édition filière livre
7 mai 2020, Victor De Sepausy
La dérisoire mise en scène d’un président en bras de chemise n’a échappé à personne. Et derrière Robinson Crusoé, la cale, le jambon et le fromage, le monde de la culture s’interroge encore. Francis Combes, président de l’association l’autre LIVRE, représentant des éditeurs indépendants, exprimerait plutôt sa consternation.
La situation des intermittents du spectacle nécessitait des mesures, pas des promesses, et elles «?étaient évidemment très attendues?», indique Francis Combes. Pour autant, les éditeurs indépendants avec lui s’étonnent «?devant l’absence d’annonce concernant la filière du livre?».
Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, avait évoqué dans la presse un plan de 9 milliards € pour les industries culturelles. Antoine Gallimard, lui, soulignait que ce sont 500 millions € que la filière livre demandait. Qu’en est-il??
MACRON : cale, jambon et fromage
«?Alors qu’au début du confinement, le même président invitait les Français à profiter de cette période pour renouer avec la lecture, il semble qu’aujourd’hui le livre ne figure pas parmi les priorités?», déplore Francis Combes.
Pourtant, un plan de relance, dans ce secteur comme dans d’autres, s’impose : il implique des mesures d’urgence pour l’ensemble des acteurs, afin de traverser «?ce moment très difficile et dangereux pour nos structures?», souligne-t-il.
Et, rejoignant les propos du PDG de Madrigall, il évoque un chantier qui replacerait «?le livre au cœur de la politique culturelle du pays?». Une nécessité qui rejoint les valeurs de la démocratie. «?Nous avons des propositions d’ensemble à faire que nous entendons soumettre prochainement au débat public.?»
Allégements de charges, aides économiques ponctuelles, voilà déjà de premières pistes. Et puis, enfin, venir à bout de la question du tarif postal qui serait aussi favorable au livre qu’à la presse. «?C’est une revendication largement partagée par des éditeurs, petits et grands, mais elle concerne aussi les libraires, les distributeurs, les bibliothécaires, les auteurs et les lecteurs?», insiste Francis Combes.
Récemment, le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a d’ailleurs abondé en ce sens, rejoignant les demandes multipliées ces dernières semaines.
Et Francis Combes de conclure : «?Plusieurs milliers de signataires ont déjà soutenu cette idée. En accord, notamment avec des associations régionales d’éditeurs, et devant l’absence pour l’instant de réponse concrète, nous proposons la constitution d’un Collectif national de coordination sur ce sujet pour poursuivre et amplifier notre action.?»
Retrouvez cet article sur Actualitté
Xavier Bertrand veut des tarifs postaux préférentiels pour le livre
Dans une lettre au ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, le président de la Région des Hauts-de-France se dit favorable à un tarif préférentiel pour l’envoi d’un livre.
Conscient que "les acteurs du monde économique du livre sont aujourd'hui très fragilisés", le président de la région des Hauts-de-France Xavier Bertrand a écrit au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, pour appuyer la proposition du président de l’association des éditeurs des Hauts-de-France, Dominique Tourte, d’instaurer un tarif préférentiel pour l’envoi de livres en France. Un geste qui pourrait directement soulager la chaîne du livre selon plusieurs éditeurs indépendants et spécialisés.
Xavier Bertrand rappelle dans sa lettre qu'un coût préférentiel pour l'envoi d'un livre existe déjà de la France vers l'étranger, afin de promouvoir la culture française en dehors de nos frontières, mais déplore qu’il n’en existe pas en France, "ce qui contribue à fragiliser les petites maisons d'édition, qui n'ont pas deréseau de distributeurs propres comme les grandsgroupes d'édition, et ceux n'ont pas non plus les volumes d'envoi suffisants pour négocier des tarifs postaux élevés, particulièrement face à la concurrence des plateformes de vente en ligne aux frais de port très réduits".
Des mesures techniques attendues depuis longtemps
Négocier un tarif postal pour l’envoi de livres en France, en le calquant sur celui de la presse, pourrait ainsi corriger "un déséquilibre qui existait et allait en s'accentuant depuis plusieurs années, au détriment de l'indépendance et de la diversité des acteurs du livre".
L'association L'Autre livre, qui représente près de 250 éditeurs indépendants, a déjà interpellé Bruno Le Maire et Franck Riester, le ministre de la Culture, dans une lettre datée du 20 avril. L’association proposait aux ministres d' "aligner les tarifs postaux du livre sur ceux de la presse, et supprimer la tranche maximale de 3 cm pour l'envoi d'un livre." Alain Serres, président de la maison Rue du monde, en fait aussi l'une de ses propositions pour sauver le secteur jeunesse: "N'est-ce pas enfin le moment de prendre des mesures techniques attendues depuis longtemps comme des tarifs postaux pour les livres alignés sur ceux de la presse", affirme-t-il.