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l'autre LIVRE

Miha MAZZINI

Grandir. 1973, Slovénie, Yougoslavie

de Miha MAZZINI

Romans slovènes (FRANCO-SLOVÈNES & CIE) | 19,00 €

Extrait :

Quand nous entendîmes la sirène de l'ambulance, nous écartâmes une nouvelle fois les mains de Nona et y déposâmes le paquet de café pour qu'elle le presse contre sa boule. Je me souvins in extremis de la Vie des saints et l'emportai. Les ambulanciers couchèrent Nona sur une civière et nous partîmes pour l'hôpital. Ma mère sanglota et beugla tout le long du trajet : « NONA ! MA PETITE NONA ! MA BIEN-AIMÉE ! »

Quant à Nona, elle priait, assez fort elle aussi.

Dans la salle d'attente des urgences, on laissa Nona allongée sur un brancard garé au beau milieu de la pièce, et ma mère et moi prîmes place sur un banc. Huit autres personnes patientaient et le camarade assis à côté de moi avait une plaie béante à la tête d'où suintait du sang, et tout au fond on voyait quelque chose de blanc, probablement l'os. Il tenait un bouquet de bananes dans les mains. Un couple plus âgé, installé en face de nous, avait aussi apporté ce fruit, et tous les autres caressaient un paquet de café dans leur giron. Malheur à ceux qui n'ont personne qui puisse leur procurer, en cas de maladie ou d'accident, des cadeaux à offrir aux médecins. Le livre posé sur mes genoux recueillit les regards assez surpris voire apitoyés de l'assemblée, signifiant : « Depuis quand les médecins s'intéressent-ils à la lecture ? »

Je pris conscience du fossé existant entre la vraie vie et les films : ceux-ci montrent des services de santé où tout le monde se dépêche, court, panique, mais en réalité tout se déroule au ralenti. Ma mère lia conversation avec le crâne fendu et nous apprîmes qu'il attendait depuis déjà trois heures. Par moments, il perdait connaissance et fléchissait légèrement, ou alors il s'endormait, je ne sais pas, peut-être trouvait-il ainsi le temps moins long.

Tout le monde se taisait, seule Nona récitait à voix haute des notre-père, son rosaire et des je-vous-salue-marie, ce qui sonnait bizarrement dans un lieu public. Prier n'était certes pas interdit, mais je n'avais jamais entendu de prières en dehors de l'église. À la sortie de la messe de minuit, une voiture portant l'inscription POLICE stationnait, et à l'intérieur se trouvaient deux policiers avec le plafonnier allumé pour que nous puissions bien les voir nous observer et prendre des notes. Je me préparai à une longue attente et commençai à regarder la photo de Tito, quand le cabinet de consultation s'ouvrit et qu'on y fit rouler le brancard de Nona. D'abord je fus surpris, puis je me dis que c'était probablement grâce à ses prières.