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(A PLUS D'UN TITRE) |
Paru le
04/04/2019
|
25,00 €
Avant-propos de Jean Duflot :
Quatre séjours d'une semaine entre l'automne 2016 et le printemps 2018 dans la capitale sicilienne, c'est sans doute un peu court pour rendre compte du projet qui s'y développe depuis le début de la décennie. Ouvrir les portes de la ville à l'immigration qui afflue de l'Orient et des territoires africains, dans le prolongement de celle des pays de l'est (Roumanie, Bulgarie, Albanie, Yougoslavie), tel est l'objectif que cette cité portuaire s'est donné, en marge de la politique de fermeture européenne. L'enquête du Forum Civique Européen que nous publions a été entreprise dans le sillage d'un certain nombre de réactions médiatiques (Woz, Le Monde, The Mirror...) à des propos du maire Leo Luca Orlando, promoteur en 2015 d'une Charte de mobilité en rupture totale avec la stratégie de l'UE. Selon lui, un journal allemand aurait même écrit « qu'en pensant à Palerme l'Europe devrait avoir honte ».
Dans le propos qui suit le lecteur réprouvera peut-être une certaine froideur qui ne convient pas au constat d'une tragédie où ont péri, jour après jour, en Méditerranée, des milliers de nos semblables. Simple principe de précaution pour ne pas se cantonner dans le casting des figurants de la déploration rituelle . La rhétorique larmoyante qui tient lieu de véritable compassion n'a pas fait progresser jusqu'ici la solution politique qui mettrait fin à l'hécatombe. Elle permet à un certain nombre de paroissiens du café du commerce ou aux bureaucrates de la raison d'Etat de se dédouaner de leurs responsabilités respectives. Aux citoyens lambda d'estomper leurs fonds de préjugés plus ou moins xénophobes, pour ne pas dire racistes; aux gestionnaires des démocraties droit-de -l'hommistes de déplorer qu'elles ne peuvent pas « accueillir toute la misère du monde » (1). La pitié mondaine, le front chagrin et les cils battant d'émotion, la flute de champagne en main, n'est pas une spécificité des vernissages. Elle opère parfois de bouleversantes conversions sous les lambris du pouvoir. Comme celle de ce ministre de la justice de la République française qui s'apitoya jadis, en un moment de faiblesse humaine, sur « les cercueils flottants » des boat-people de l'époque (2).
De l'autre côté des Alpes où notre investigation s'est préoccupé du défi de Palerme, ce genre d'émotion rétrospective ne risque pas de faire larmoyer l'actuel Ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini. Il rêve de surpasser en férocité ubuesque la pugnacité berlusconienne où l'un de ses commis énonça jadis le projet de faire canonner les envahisseurs des années 90-93. A vrai dire le consensus de tous les Etats de l'UE responsables de la gabegie de vies humaines aujourd'hui légalement organisée nous dispense de procéder à une quelconque hierarchie des compassions nationales. Hormis quelques casaques rouges, au demeurant défraichies, nostalgiques d'une humanité « humaniste », toutes les couleurs du spectre politique rivalisent dans la compétition sécuritaire du rejet de l'immigration. Au nom de l'ordre, du bien commun et d'une inquiétante interprétation de tous les traités internationaux.
L'initiative même de cette enquête devrait nous disculper de la rareté pathétique de notre narration.
C'est que le parti pris en a été de laisser aux lecteurs le soin de consulter les médias pour
prendre la mesure du désastre en cours. Ils se sont tellement dévoués pour en communiquer la nécrologie qu'ils nous dispensent de procéder à une comptabilité minutieuse des victimes de la traversée des déserts africains et de la mer Méditerranée. 20, 30, 40.000 personnes, enfants, femmes et hommes ? Aucun recensement n'est aujourd'hui possible. Le sera-t-il un jour ?...
Palerme, ville ouverte ? Notre déambulation, sans doute trop brève dans cette ville portuaire du sud, s'est efforcée de rassembler les indices du bien fondé d'une telle intitulation inspirée par le lecture de sa Charte. Ce sera un peu notre mémorial dédié à toutes ces victimes que de témoigner de l'accueil des survivant(e)s que cette grande métropole européenne ose entreprendre, en porte à faux avec l'indifférence réglementaire.
En parcourant le dispositif réticulaire déployé dans ce débarcadère palermitain où ont été acheminés des milliers de transfuges de la précarité et des guerres, il a fallu rassembler des données qui ont parfois l'aridité d'une nomenclature abstraite. C'est que la dynamique d'insertion s'inscrit dans un contexte où l'économie, dans l'acception la plus large du terme, se réfère à des critères d'évaluation en grande partie quantitative . L'évaluation des secteurs où se réalise le processus d'intégration citoyenne (accès au droit commun par l'habitat, l'emploi, l'éducation scolaire, l'assistance sociale et sanitaire) requiert une certain nombre de données significatives. Les commentaires sociologiques ou politiques ne suffisent pas à rendre compte de l'état des lieux et des opérations en cours. Pour prendre la mesure de celles qui s'emploient à valoriser l'apport de l'immigration, ils ne peuvent pas se passer d'une certaine arithmétique sociale.
D'avantage avenante devrait être sans doute l'information relative à la dimension culturelle de l'hospitalité palermitaine. Elle convaincra plus agréablement le lecteur de l'exemplarité de ce qui s'organise dans ce havre de l'extrême sud du continent occidental. La culture pourrait bien être le stratagème qui est en train d'ouvrir une brèche dans la grande muraille de la Forteresse Europe : au grand dam des élites policières et militaires comme Frontex (3) qui sont censés en garantir l' invulnérabilité.
En définitive, c'est à partir de cette Charte de Palerme, sous-titrée « De la migration comme souffrance à la mobilité comme droit inaléniable de l'homme » que nous avons décidé d'explorer un territoire où se met en place une alternative à la liturgie sacrificielle del' Europe. Dans le dédale de cette ville portuaire où cohabitent Palermitains et plusieurs dizaines de communautés étrangères , ce n'est pas seulement de l'étendue de la perte humaine actuelle dont on prend conscience, c'est aussi de celle de notre propre humanité.