C'est tout pour aujourd'hui
Cécile Guivarch poursuit sa recherche autour de la mémoire et, cette fois, c’est la lecture de lettres et cartes postales venues du 20è siècle qui sert de passerelle.
À travers elles, se concrétise la vie des grands-parents, leurs joies, leurs souffrances, une vie quotidienne banale sans doute mais à laquelle la poète accorde une grande attention. L’écriture, simple, qui semble labourer la phrase, évoque avec justesse ces vers de Verlaine : « La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles/est une œuvre de choix qui veut beaucoup d’amour ».
Au fur et à mesure, une tendresse naît à travers la distance temporelle, et le dialogue se noue entre les générations, ce qui rend ce livre si attachant.
Bonus
Extraits :
Vos phrases près de moi, posées dans une valise.
Le cuir des années 1920 fatigué dans ma paume.
Chère Henriette, l’aïeule de mes enfants.
Vous êtes là, votre valise dans mes mains.
Vous me regardez même si je vous tourne le dos.
Vous continuez d’être ici, votre visage dans les graphies.
Je lis vos lettres sans trop de pudeur.
Rougissez-vous ou souriez-vous ?
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Vous êtes passés, il y a longtemps déjà.
Les mains au coin du feu. Une marmite au fourneau.
Les bêtes, les troupeaux, les silences.
Le travail des fleurs coupées.
Un ciel des plus calmes en cette saison-là.
Penser aux frères, aux cousins de l’autre pays.
Parler de Dieu aussi, demander sa miséricorde.
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Je ne suis pour vous ni personne, ni la neige en été,
ni le blé dans les champs.
Je suis dans les mots où vos voix s’éveillent et me retiennent.
Vous êtes des ombres, je vous regarde tels que vous étiez.
Vous dites : moi je raccommode tous les jours, tout est déchiré.
Je m’efforce de ne rien dire, j’ai troué mes chaussettes.
Vous passiez les jours à relier les fils les uns aux autres.
Un tissu étendu jusqu’à nous, la laine que vous aimiez,
la lumière de vos maisons.
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Dans la campagne, tellement bien belle.
Par la fenêtre, la terre toute labourée.
Penser à la bonne récolte, aux vastes champs couverts de beau blé.
Le ciel bleu, les jours de beau temps la terre s’offre au soleil.
J’entends encore le bourdonnement des appareils dans toute la campagne,
si fort que ma voix en est coupée.
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Cela n’a rien d’usé mais galope de vos mains.
Les dames prenaient la pose pour la bonne année.
Tout cela déjà écrit au recto de la carte postale, et au dos,
vos messages, parfois de petites choses de rien du tout,
un je pense à toi, je t’aime, c’était tout dire.
On s’attendait au café du coin, au pied d’un train
à sept heures le dimanche ou au retour de la guerre.
Tout convenu en quelques mots quelques lignes.
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Vous aviez chaud, de l’eau sur le front, sous les bras,
à couler dans vos dos.
Chaleur, les orages, vous préfériez la fraîcheur du matin
pour quelques mots.
Vous vous souciiez de l’eau. Je tourne le robinet,
la fais couler pour vous.
Aller au puits, en chercher un peu plus loin. Boire, l’arrosage
et les linges.
Surtout étancher les soifs.
Denise a eu soif pendant deux ou trois jours.
Sa langue et sa gorge aussi sèches.
Je bois l’eau du robinet.
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Le facteur n’est pas passé aujourd’hui.
Hier il a déposé facture, électricité et impôts.
Demain peut-être quelques réclames.
Lorsqu’il passe nous le saluons de loin.
Nous n’avons plus le pas pressé à sa rencontre.
Reconnaître l’écriture tant attendue.
Le timbre collé d’un bout de langue.
Le facteur est passé sans apporter de lettre.
Je ne l’ai pas attendu, j’ai allumé mon ordinateur.
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Fiche technique
Prix éditeur : 16,00 €
Collection : POESIE
Éditeur : LA TÊTE À L'ENVERS
EAN : 9791092858426
ISBN : 979-10-92858-42-6
Parution :
Façonnage : broché
Pagination : 82 pages