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l'autre LIVRE

ISABELLE SAUVAGE

 

  • Parallèlement aux « livres d’artiste(s) » publiés depuis 2002, les éditions isabelle sauvage éditent, hors des catégories trop définies, de la poésie, au pluriel du genre.
  • 8 à 10 titres par an.
  • 7 collections : « Présent (im)parfait », « Chaos », « Pas de côté », « 120° », « Singuliers pluriel », « Ligatures » et « Corp/us ».
  • Une volonté toujours : défendre des voix, des univers, les suivre, les accompagner.
Adresse : Coat Malguen, 295
29410 Plounéour-Ménez
Téléphone :02 98 78 09 61
Site web :https://editionsisabellesauvage.fr
Courriel :nous contacter
Représentant légal :Isabelle Sauvage / Alain Rebours / Sarah Clément
Forme juridique :Association
Racine ISBN :978-2-917751
Nombre de titres au catalogue :157
Tirage moyen :300
Spécialités :Poésie, récits, livres d'artistes

Le nom d'un fou s'écrit partout

de Sandrine BOURGUIGNON

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 20/10/2021 | 17,00 €

C’est le corps-à-corps obstiné avec les mots et les images de Fernand Deligny (1913-1996), éducateur hors du commun, cinéaste, écrivain et poète, qui est au cœur de cette biographie romancée. Deligny s’est acharné à « creuser dans la langue » pour y « chercher l’interstice », à ramasser les « petits copeaux de langage » qui tombent parfois du silence des autistes ou autres adolescents jugés incurables par les institutions — plutôt que leur apprendre à parler, apprendre à se taire soi-même, les écouter, les regarder. Et les dessins, les feuilles volantes, les images filmées, les gestes, les silences, beaucoup de silences, et puis les fameuses « lignes d’erre » qui retracent le trajet des enfants dans les aires de séjour qu’il a inventées pour eux dans les Cévennes. Car au-delà, il est aussi et avant tout question d’interroger « l’homme-que-nous-sommes », et de créer ainsi de nouvelles façons d’être au monde.

Sandrine Bourguignon s’empare du sujet à bras-le-corps. C’est une adresse à Deligny, une longue lettre en quatre parties, une biographie en miettes, et exhaustive. Qui épouse ses convictions au plus près, se faisant elle-même « le scribe d’un langage qui n’existe pas », et peut-être d’autant plus qu’elle s’autorise, ici, à imaginer, à intervenir quelques fois, mais sans jamais forcer les portes.

« Vous comparez l’écrivain à un alpiniste qui s’encorderait au lecteur. […] Alors je tourne les pages une à une. / Et nous voilà désormais encordés. »

La première nuit est toujours blanche

de Anne DESPLANTEZ

Pas de côté (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 11/09/2021 | 22,00 €

Invitée en résidence à Plounéour-Ménez à l’été 2020, Anne Desplantez, dont le travail n’est qu’échange, est allée vers les habitants des monts d’Arrée, carnets, appareil photo et dictaphone en main, ne s’imposant jamais et suscitant la confiance, permettant ce qu’elle aime appeler de la création partagée, chacun participant à sa façon, donnant ce qui lui semble important, un souvenir, une image, une voix.

Ici c’est la force de la nature renvoyant à la fragilité humaine qu’elle a reconnue, et les liens invisibles qui unissent les uns aux autres. « Je recherche les tensions qui nous font sentir que l’équilibre que nous trouvons pour vivre ensemble est fragile, incertain mais précieux. » Et ce qu’elle sent ici, c’est ce qui précède peut-être cet équilibre, quelque chose de l’ordre de la bascule, un choix ou une décision, un geste, un acte volontaire ou juste évident, ou encore quelque chose d’indicible, plus diffus, mais qui fait l’histoire de chacun. Qui commencerait par une nuit blanche, parce que quelque chose a lieu, là, de profond et déterminant, absolu même si familier.

Entre photographies et « confidences » des uns et des autres, adolescents, couples, exilés, femmes et hommes de tous horizons, de toutes générations, des histoires intimes sont révélées, et aussitôt suspendues : on n’en saura pas plus que quelques bribes, juste assez pour sentir ces basculements plus ou moins francs, douloureux ou heureux, un déménagement subit, un soir d’été entre deux âges, une nuit, un jour… Des allers-retours se créent entre les pages, par les mots et par les images, un arbre penché dans la lande, des volets aux fenêtres… Il y a des visages, des corps dont la banalité ou la posture interroge. Des enlacements, beaucoup de tendresse. Des routes, des arbres, des maisons, quelques bêtes, des ciels, des ombres, un clocher, de l’eau, un trampoline, une robe de mariée. La voix de la photographe se mêle aux paroles retranscrites, à même hauteur — quelquefois on ne sait pas trop qui parle, quelquefois on ne sait pas trop d’où vient telle photo, tel détail, tel angle de vue.

À mi-chemin entre mise en scène et documentaire, c’est à une exploration en forme de fiction à laquelle nous convie Anne Desplantez, une fiction ordinaire, du vivant.

Incantation pour nous toutes

de Anna MILANI

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 24/06/2021 | 9,00 €

« Des tâches ménagères on a fait un feu. Brûlant les ustensiles et les normes qui répliquaient les rôles. Les casseroles maintenant nous servent pour battre le temps et des carafes nous versons de l’air dans l’air pour enivrer l’espace. Les tâches qui nous incombent à présent ont à faire avec les mots. »

Kryptadia

de Anne MALAPRADE

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 24/06/2021 | 16,00 €

« La femelle chorégraphie ses peurs étoiles. Perdre ces amies femmes qui donnent ce à quoi la mère n’a pas consenti. Si les aînées, aussi, se détournaient. Désastre. Aucun balcon ne retient le saut. Chute et flash. La femme sans ombre tait les cris. Le ventre persiste à faire durer l’accroc au-delà du choc. »

Tremble

de Benoit COLBOC

Pas de côté (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 24/06/2021 | 5,00 €

Dans ce texte très court, Tremble est un personnage, un sujet à part entière. Petite forme ramassée pour aller au cœur, celle-ci semble s’articuler autour d’une colonne centrale de deux séquences, justifiées en regard, où se dit le père disparu, et « rester le fils », et le « tremblement essentiel », « part silencieuse à nos peaux ».

Tout en pudeur, on lit « les peurs de tout de moi des autres […] de déjà plus l’enfant », un « enfant déshabillé » « qui leurre et qui pleure », ce « Tremble qui bat la mesure de / la présence qui détraque », qui doit faire avec l’« exercice » (l’expérience) « des langues tremblées comme la parole ». On y croise aussi Alcool, dont Tremble « ne parvient pas / à [s’]échapper », compagnon des « mains impatientes » « dans la recherche des mots tremblés cousus au passé ». C’est que désormais Tremble est ce mouvement indissociable et complice, ce pas de côté imprégné qui « bat les peurs » comme on bat les cartes, « comme on s’écrit ».

Comme on s’écrit… « à la vitesse d’un tremblement » : c’est bien une écriture tremblée qui fait ce texte, et trouée de mots trop lourds à porter, qui frappe d’autant plus qu’elle est fragile et forte tout à la fois, dans la nécessité à dire ces paroles, les saccages et les silences.

Topographie

de Benoit COLBOC

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 24/06/2021 | 15,00 €

Il y a une famille, ordinaire : inscrite dans son époque, avec ses habitudes, ses qu’en-dira-t-on, son entre-soi ennuyeux. Chacun à sa place. La figure centrale est le père, et pourtant si peu là ; chacun s’appréhende en fonction de lui, sauf le « dernier » (le narrateur), décalé, hostile.

Le suicide du père vient ébranler la distribution des charges et démentir les certitudes. Le « on ne dit rien à personne » s’entrouvre : refoulés pendant des années, les souvenirs de l’« enfantprêté » refont surface. Les flous qui perduraient, déplacés sur le père et faisant de lui « un monstre », s’élucident.

C’est avec une écriture boitillante, un récit désarticulé aux conjugaisons mélangées que l’auteur sature la fracture, puis la « concorde » possible entre père et fils, mais du côté d’une balafre commune : « je / tu / fondus. / Nos démolis » — dans l’ambivalence de la honte et de la culpabilité partagées.

PQR (poèmes quotidiens rennais)

de Ian MONK

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 01/03/2021 | 16,00 €

« 13/10/18


Contrairement à Rennes où, comme en principe plutôt partout en
France on cherche à s’arranger de manière civilisée, quoique…
pour s’occuper de ses défunts (mettant sous le menhir
la cendre du Brave), à

Détroit, un gentil directeur de pompes funèbres proposait aux pauvres
de stocker leurs chers disparus dans un garage non réfrigéré
et surtout de faire gésir leurs bébés dans des cartons
placés dans un faux plafond »

Ou je coule

de Christine CAILLON

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 01/03/2021 | 14,00 €

« Tu me regardes avec les yeux d’un nouveau-né qui m’envisagerait pour la première fois, comme si tu découvrais notre ressemblance au travers d’une vitre : tu n’as pas l’air contente de ce que tu vois. Pourtant, la vitre est plate et tranquille : regarde de plus près. »

Dis solution, maman, dis

de Cyril LAUCOURNET

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 01/03/2021 | 14,00 €

« Ma mère me dit que dans la vie l’important est de faire son trou. Que c’est le but de l’homme faire son trou. Que tout est une histoire de trou. Que l’on vient d’un trou et que l’on finit dans un trou. Elle me dit ça ma mère que tout est une histoire de trou dans la vie. Que si elle devait la résumer la vie ma mère, elle dirait ça, la vie c’est une histoire de trou. Que nous avons les humains la nécessité de le trouver notre trou. Que nous avons le devoir de le faire. Que moi aussi je devrais le faire mon trou. Qu’il sera bientôt temps que je le fasse mon trou. Qu’il sera bientôt temps que je me démène pour le faire. Que je ne pourrais pas constamment vivre ici avec elle dans son trou à ma mère. »

Faire le mort et aboyer

de Nathalie B. PLON

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 01/03/2021 | 14,00 €

« On m’a dit des pots sans fleurs sur le rebord pour amant voisin de passage on m’a dit des pièces à vivre pour barrer la porte on m’a dit une porte à l’étage on m’a dit d’aller jouer je suis au bas de l’escalier un jour remonter à l’étage ne plus savoir à quoi jouer
Écarquillement de cils dans mon cerveau des bobos tout bleus croûte refermée proprement genou si lisse il faudrait lui dire la cicatrice pourtant »

MoMo BasTa

de Frédérique GERMANAUD

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 01/03/2021 | 18,00 €

Frédérique Germanaud livre ici le récit-journal de sa rencontre avec le fascinant MoMo BasTa, grand brûlé dans son enfance, « lapin écorché » devenu artiste performeur évoluant notamment au sein de squats et collectifs d’artistes tels que l’Art-Cloche.

Marqué à vie suite à un accident domestique resté trouble, MoMo, « gueule cassée au verbe haut », cherche aujourd’hui quelqu’un qui recueillera son histoire. C’est d’abord un refus, presque un rejet, que Frédérique Germanaud oppose à cette entreprise. C’était sans compter sur la force du sujet, « chimère » au « visage illisible » qui travaille clandestinement dans son esprit et finit par s’imposer. Au fur et à mesure de ses recherches, l’autrice s’attache à celui qui, sans jamais se poser en victime, « a retourné sa peau deux fois : brûlé puis exposé », et tente de comprendre ce qui la lie à cet homme.

Pacte ambivalent parsemé de doutes, MoMo BasTa interroge l’écriture et le récit de soi, mettant en scène un double « je », biographique et autobiographique, l’un et l’autre marqués par la douleur, l’âpreté à vivre et la solitude.

Attendu que

de Layli LONG SOLDIER

Chaos (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 27/10/2020 | 24,00 €

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Béatrice Machet

« ATTENDU QUE est une réponse, point par point, mot après mot, à la résolution du Congrès d’avril 2009 qui formulait les excuses du gouvernement américain aux Indiens, qualifiée bien crânement de « réconciliation historique » mais passée inaperçue… et restée lettre morte.

Layli Long Soldier interroge ici jusqu’à l’inanité même de la notion d’excuses : s’il est primordial que l’État fédéral reconnaisse ses actes envers les tribus indiennes, la « réparation » ne dépend pas, n’a jamais dépendu de lui, les Indiens n’ont pas besoin de réconciliation, ils sont peuples souverains, ont lutté et continuent de lutter pour leurs droits. D’ailleurs, ces excuses sont adressées en anglais et il n’existe pas de mot en langue indienne pour « excuse » ou « désolé », dit l’auteure… Et c’est bien la question de la langue qui est soulevée tout au long du livre : comment écrire dans la langue de l’occupant, parce que sa langue propre a été interdite, que de ce fait, « pauvre en langue », ne lui reste plus qu’à « secouer la morte ». Comment vivre aujourd’hui, de tout son être, en tant qu’Indienne, femme, mère  — comment « les mots précis [de la résolution] enclenchent les vitesses du poème en marche ».

Le livre est construit en deux parties. D’abord les « préoccupations », qui sont celles de Layli Long Soldier dans sa « langagitude », poèmes du quotidien qui impliquent tout du corps, traversé par la terre, la lumière, où elle dit l’enfance, l’amour, la maternité ou l’absence, l’Histoire au présent d’un peuple colonisé. Dans la seconde partie, Layli Long Soldier, calquant la résolution officielle, énonce ses propres déclarations préliminaires (toutes introduites par « ATTENDU QUE », citant et commentant régulièrement le texte original) et ses « résolutions » (le texte est ici intégralement repris mais de façon complètement détournée).

Il en ressort une véritable dénonciation du texte de loi, ou précisément, comme le dit Layli Long Soldier, un « acte juridique à la première personne ». De façon incisive, littéralement frappante, la langue anglaise se retourne ainsi contre ce qu’elle représente par la force subversive de la poésie : « Attendu que met la table. La nappe. Les salières et les assiettes. […] je suis amenée à répondre, attendu que, j’ai appris à exister et ce sans votre formalité, salières, assiettes, nappe. »

« WHEREAS défie la construction et le maintien d’un empire en transformant la page de telle sorte qu’elle résiste à la tension d’un corps, d’un pays occupés et, plus précisément, d’une langue occupée… » (Natalie Diaz, The New York Times Review)

« Variant les formes et avec une précision féroce, l’écriture de Long Soldier fait grincer le décalage entre les définitions des mots dans sa langue et en anglais… On ne glisse pas dans ce livre sur les essieux bien huilés d’une beauté facile, mais on s’écorche à vif contre le langage démembré en éclats étincelants… Magnifique. » (John Freeman, Los Angeles Times)

Proëlla

de Erwann ROUGé

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 03/07/2020 | 13,00 €

« oui    les serrer à la première lueur
contre la terre.

tout est sur le bord
de ce vacillement
entre l’oubli et l’immense.

oui     les prendre avec une prière. »

Fragments du discontinu

de Isabelle Baladine HOWALD

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 03/07/2020 | 13,00 €

« Je pense à toi qui n’a plus de corps    je te sens pourtant encore contre moi
je sens tellement ton corps qui n’existe plus    je te vois dedans les yeux fermés    je ferme les yeux pour te voir    et te sentir contre moi revient
ton odeur ta douceur ton souffle    tout ce que j’aimais tant
la sensation d’opacité, peau, carrure, contours, tessitures

ce chatoiement de toi en moi

nous fermons les yeux quand il n’y a plus rien à voir
se souvenir est “mémoire d’aveugle” »

Barque pierre

de Frédérique de CARVALHO

Pas de côté (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 12/06/2020 | 18,00 €

« cette fois la barque était / de pierre / un granit échoué entre lande / et forêt »

 

Barque pierre est né de la résidence, à l’automne 2019, de Frédérique de Carvalho
à l’ancienne poste de Plounéour-Ménez, au cœur des monts d’Arrée, « pays d’attache » où
« la lande aura dressé / la table » d’écrire, la « bogue hérissée de l’instant » à portée du carnet.

 

La narratrice, « elle », se retournant tel Orphée sur une Eurydice pourtant « déjà morte »,
se retrouve confrontée, comme convoquée, à un corps à corps avec une mémoire — l’enfance, la mère, le « désir ensablé ». Une voix s’impose et occupe l’« obscur » de la langue,
« elle dit » comme malgré elle, elle se demande « de quelle mémoire revenir et si c’est possible ». Par le biais d’accroches comme autant de didascalies sont notés l’entremêlement des espaces et des temps (de grammaire, de durée ou de saison), sont posés les remarques, injonctions ou apartés qui façonnent un geste de parole — où l’écriture, « lieu soustrait »,
est espace et désir.

 

« elle dit que son travail de vivre est de bouger les immobiles / elle dit de déplacer la pierre / elle ne sait pas comment »

L'invisible

de Juliette AGNEL

Pas de côté (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 12/06/2020 | 22,00 €

« Je crois que l’art qui me touche tient à cette relation du réel à l’invisible. À ces forces qui nous entourent mais que nous ne voyons pas. C’est une autorisation de croire à un absolu, à une rêverie qui pourrait prendre vie. »

Où qu’elle aille, Juliette Agnel semble porter ce regard subjugué sur les puissances de la nature, où l’espace et le temps sont mystères profonds. Du Mali au Groenland, des Alpes au Maroc ou au Soudan, les paysages sont révélés, sublimés par l’expression d’une intériorité.

Lors de sa résidence à Plounéour-Ménez, au cours de l’été 2019, c’est tout naturellement comme en expédition qu’elle a arpenté les monts d’Arrée, avec un émerveillement permanent, premier, pour reprendre les mots de Fabien Ribery sur son blog L’Intervalle. En ethnologue-photographe, elle y a ressenti les énergies cosmiques, telluriques, l’énergie des hommes, l’histoire des lieux, la mémoire des roches, « tout l’invisible contenu dans les lieux, ce qu’il nous raconte, mais qu’il ne nous dit pas ».

C’est aussi naturellement qu’elle y a rencontré le géobiologue Yann Gilbert, dont le travail est justement d’étudier et de contrôler ces énergies, qu’elle a pu le suivre et se laisser guider dans ces espaces qu’il connaît intimement. Les citations reproduites dans ce livre sont extraites de ses propos tenus sur le vif au cours de leurs pérégrinations et enregistrés par Juliette Agnel. Ils ne sont qu’une infime trace de la pratique et de la pensée de celui qui les tient, et ne prétendent surtout pas à un enseignement théorique, dont ce livre ne saurait être le lieu.

Au fil des pages, si l’on est en prise avec une sorte de conservatoire du vivant, comme un relevé topographique, une tentative d’inventaire des lieux rencontrés, c’est le prisme esthétique qui s’impose, la force du regard que Juliette Agnel a porté sur roches et fougères, menhirs et dolmens, sous-bois ou lande, calvaires et chapelles qui créent la singularité de ce territoire.

Et c’est finalement un paysage imaginaire qui se déploie, « une disproportion ordonnée échappant au discours pour faire entendre la tonalité d’une parole sans traduction possible, qui est au sens fort un ravissement, un rapt de tout l’être » (Fabien Ribery).

dit la femme dit l'enfant

de Christiane VESCHAMBRE

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 21/02/2020 | 16,00 €

Une enfant apparaît au seuil d’une pièce où se tient une femme. Elle reste à la lisière de cet « autre monde ». « D’où viens-tu » est la première phrase du texte, question que la femme pose à l’enfant. Un échange commence entre elles, oscillant entre le monologue intérieur et le dialogue. Les voix alternent et se répondent, chaque fois ponctuées de « dit la femme », « dit l’enfant ».

La femme parle parfois au futur : elle sait, mais pas l’enfant. Si la femme reconnaît l’enfant (« Tu es mon intime autant que mon étrangère »), a peur de l’effrayer, si l’enfant hésite à franchir le seuil de l’inconnu, s’en protège en même temps qu’il l’attire, bientôt leurs deux mondes se révèlent davantage poreux. C’est que le temps n’est pas linéaire ici : présent, passé, futur se croisent, se superposent – comme les deux voix qui peu à peu n’en feront qu’une.

Sans doute Christiane Veschambre ne se sera-t-elle encore jamais autant livrée, bien que toujours tout en pudeur, sur les origines intimes de son écriture, se retournant sur ses chemins, ré-arpentant ses traverses, maintenant de toutes ses forces ce surgissement en elle, cette émotion jamais éteinte, « poing serré, resserré autour de la langue qui file alors comme la lanière du fouet lorsqu’elle est libérée ».

À bout

de Nathalie DE COURSON

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 04/11/2019 | 18,00 €

Après avoir trouvé dans la poubelle du vieil About, son père, une enveloppe déchirée et vide ne comportant que ces quelques mots : trouvé après perte de la perte de tout d, la narratrice entreprend son récit et s’accroche à ce d qui défait.

Et ce qui se défait, là-bas, à Péricourt, c’est la figure du père, son corps, sa mémoire et sa dignité… devant ses cinq enfants, inquiets et désemparés.

Avec un humour caustique, Nathalie de Courson nous présente cette fratrie soudée, dans laquelle chacun/chacune joue un rôle différent : Primus, Triolette, Quartette, Quintette et Benjamin. À coup de plannings colorés, tous se relaient auprès du père pour assurer les tours de garde et se débrouillent comme ils peuvent pour ne pas le haïr.

Les réticences envers le vieil About — de la pitié à l’exaspération — sont variables selon l’histoire de chacun, mais tous ont du mal à assumer cette lignée d’hommes depuis des siècles pris dans l’Histoire, une vieille famille française, une dynastie de militaires et de diplomates, où même les adultères ont un air légitime.

Dans une alternance de passages narratifs et de dialogues par mails interposés, ce récit de filiation porte sur l’étrangeté des origines, la difficulté d’hériter et de se frayer un chemin de vérité avec toutes ces voix qui parlent autour et à l’intérieur de soi.

Pointillés

de Françoise Louise DEMORGNY

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 26/08/2019 | 16,00 €

Françoise Louise Demorgny, comme dans Rouilles et Un écart, ses précédents livres, retrouve les Ardennes, ce pays d’enfance qui la « tourmente fidèlement » et ses « voix urgentes » qui « montent des marges de l’oubli ». Se dessine peu à peu la figure de la mystérieuse tante Pierrette, placée chez les Filles du Cœur miséricordieux de Marie où naîtra Roland, l’enfant illégitime.

Si les pointillés du titre sont bien sûr ceux de la frontière entre la France et la Belgique, figure centrale du récit, « lieu de tous les possibles », ils sont également ces lignes entières que Rimbaud sème sur ses manuscrits et qui restituent « un geste, un élan, une rage » et disent « des choses entre les lignes ».

Une suite émouvante de courts textes formant récit, chaque fois précédés des mots des poètes pour tresser une guirlande à toutes ces ombres, iriser leurs pauvres histoires. Comme dans ce jeu d’enfant où une fois tracée une ligne le long des pointillés apparaît un dessin. Ici, un portrait en creux destiné à réunir enfin Pierrette et Roland dans son « exil ».

In/Fractus

de Angela LUGRIN

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 15/06/2019 | 18,00 €

« Le mot “infractus”, ce mot des pauvres, des illettrés, des apeurés, je veux qu’il soit un mot puissant et vigoureux comme un chevalier, désignant le sentiment d’être brisé du dedans, d’être vaporeux et en lambeaux, sans base distincte. » Ce mot qui surgit à l’annonce de l’infarctus de son frère, Angela Lugrin s’en empare comme d’un « lieu-caverne » sur les parois duquel se profile l’ombre de leur lien de frère et sœur. 

Si son frère se méfie des mots, Angela Lugrin sent au contraire qu’en ce moment de fracas elle doit de toute urgence écrire, faire battre le cœur de leur « amour indéfectible », pulser leur « langue commune » et réanimer… les vacances, les voyages, les fous rires, les parents, leur groupe punk, leur tendresse pour les bas-côtés et ceux qui y trouvent refuge. Ce recours à l’écriture est bercé par les livres témoins, par les mots de Racine, Duras, Quignard, Rousseau ou Bonnefoy qui, l’auteure le sait, portent et tiennent debout celui qui chancelle.

Angela Lugrin nous fait entendre ici une nouvelle fois la puissance de l’écriture et de la littérature qui savent, parfois, border l’innommable quand il fait effraction dans notre réalité quotidienne.

Une même lunaison

de Sofia QUEIROS

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 19/04/2019 | 14,00 €

« Jour 12

Elle a compté les wagons du train de marchandises, de face comme une vache. Avec le doigt de l’écolière.

Elle en aime la couleur rouille, le passage lourd.

Les herbes ont vacillé.

Parfois des pierres sur les rails qui viennent frapper nos fenêtres, s’immiscer dans nos vies.

Parfois un grincement,

un craquement dans l’ordinaire tourne et rond. »

Ruine balance

de Laurine ROUSSELET

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 19/04/2019 | 17,00 €

« le corps passionnément
dans un soulagement partagé
additionne le trouble à l’insensé
chargées de nos manques
les cuisses même y répondent

l’intensité explose aux flancs
sur ta peau des lettres de passage
accidents       ailes       foudroiements
ruine balance
qui dira quel est son sens ? »

 

Des disparitions avec vent et lampe

de Fanny GARIN

Présent (im)parfait (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 19/04/2019 | 15,00 €

« reste


à savoir si je parle de la succession de tous mes corps d’enfants
ou de tous mes amours
dans la même douche le même

lit


que préfères-tu oui toi »

 

Arabat

de Caroline CRANSKENS, Élodie CLAEYS

Pas de côté (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 15/04/2019 | 22,00 €

Arabat réunit un ensemble de textes, photographies et dessins et un film en deux parties sur DVD, le tout né de la résidence, en 2018, d’Élodie Claeys et de Caroline Cranskens à Plounéour-Ménez, en plein cœur des monts d’Arrée.

Le titre, signifiant en breton « ne pas » (aussi bien : « interdit », « défense de » — « ça suffit »), est inspiré d’un poème d’Anjela Duval (1905-1981), paysanne et poétesse bretonne dont les artistes auteures se sont nourries tout au long de leur séjour entre deux hivers.

Versant livre sont réunis les regards de Caroline Cranskens et d’Élodie Claeys, à travers textes et photographies, et celui d’Agnès Dubart, qui lors d’un séjour de quelques semaines auprès d’elles a dessiné à l’encre noire les yeux de différentes personnes rencontrées en concluant chaque séance de pose par cette même question : « qu’est-ce que vos yeux aiment voir ? », avant de traduire ces regards intérieurs par la couleur et l’aquarelle.

Versant film, deux parties donc, indépendantes et complémentaires, « à valeur d’ici et d’ailleurs », l’une, Prises de terre, se passant dans les monts d’Arrée, l’autre, Au-Delà de Nous, à travers la France, là où il est question de collectifs, de résistance et de révolte (de Notre-Dame-des-Landes aux ronds-points des gilets jaunes). Caroline Cranskens et Élodie Claeys ont suivi le fil des rencontres pour explorer quelques cellules vivantes parmi une profusion infinie. Au rythme du vent, des clairs-obscurs, du chant du courlis cendré ou des slogans de manifestations, cadrées sur les pieds, les visages ou les mains, les histoires de vies entrent en résonance et en contradiction avec les aspirations et les colères du présent. Comment faire le pont entre les actes et les paroles, les individus et les foules, la nature et la nature humaine ? Arabat est avant tout une vision du collectif en mouvement, de l’entraide possible entre lieux, enracinements, luttes, générations, corps et langages. Parce qu’il est l’heure de se brancher à la terre et à la fois de se relier aux autres, plus que jamais.

 

Un écart

de Françoise Louise DEMORGNY

singuliers pluriel (ISABELLE SAUVAGE) | Paru le 15/05/2018 | 14,00 €

Le domaine du Grand Dhuy, l’étang de la Fermière ou la douane de la Gruerie sont lieux écartés, isolés. D’entrée, les noms résonnent et le décor est planté pour dire un pays, les Ardennes, un écart à la frontière de la France et de la Belgique. Mais, des écarts, de langage, de conduite, de jeunesse, des déplacements, des pertes, le texte en dira d’autres.

Dans ce récit en trois parties où l’on retrouve la narratrice à trois périodes de sa vie, fillette, adolescente puis femme mûre (à son troisième cheval, pour reprendre la belle expression d’Erri De Luca que l’auteure avait déjà empruntée dans son livre précédent, Rouilles), c’est l’histoire, la grande et la petite, qui se déroule, les possibles et les impossibles d’une enfance qui prend fin soudain, et sur laquelle on s’arrête, se retourne ; les émois plus ou moins dérisoires mais fondateurs et les « événements d’Algérie » dévastateurs, le dictionnaire, les pères, minuscule et majuscule, pour tenter de comprendre ou définitivement rejeter. Tissage de « l’œuvre au noir » du temps qui passe, voix fanées qui se ravivent et rendent parallèlement tout l’écart creusé, toute l’étrangeté devenue des noms, des lieux, des arbres et de l’enfance.

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